Deviens celle que tu es – Hedwig Dohm

deviens_celle_que_tu_esHedwig Dohm est une écrivaine méconnue en France, et cette nouvelle (ou ce court roman) est d’ailleurs le seul texte de l’auteure traduit en français. A travers le journal d’Agnès Schmidt, une vieille femme internée en hôpital psychiatrique, c’est le récit d’une personne passée à côté de sa vie qui nous est donné à lire, d’une femme qui regrette de ne pas être devenue celle qu’elle aurait pu être. Est-il trop tard pour changer, pour apprendre, pour vivre ? Loin de s’apitoyer sur son sort, Agnès Schmidt réfléchit à ce qui a fait d’elle la femme qu’elle est devenue, et à comment elle aurait pu devenir celle qu’elle découvre être réellement.

« Je veux essayer de comprendre, avec raison et objectivité pourquoi je suis devenue ainsi. C’est une sorte de nécrologie de moi-même que je veux écrire. Car pour moi, c’est terminé. Plus rien ne peut advenir. Je veux simplement raconter la vie d’Agnès Schmidt, qui a 54 ans et est veuve depuis deux ans, avec un revenu – assurance-vie et pension comprises – de 2500 Marks. Des choses dignes d’être racontées dans ma vie ? Est-ce qu’il y en a ? De quelle nature ? Je suis restée là, assise, la plume à la main, à réfléchir. Rien, rien ! Suis-je vraiment Agnès Schmidt ? Suis-je absolument certaine d’être Agnès Schmidt ? »

Les contraintes imposées aux femmes par la société sont en grande partie responsable de l’échec de la vie d’Agnès Schmidt. D’abord fille, puis épouse, mère et grand-mère, elle n’a jamais eu le temps d’être une femme. Et lorsqu’elle s’en rend compte, il est trop tard : elle ne peut plus être qu’une vieille femme. Mais peut-on être vieille et être une femme en même temps ? Peut-on être vieille et aimer ? Peut-on être vieille et ne pas avoir envie de mourir ? La réponse sera non.

« Quoi ? Ces écrivains rejettent ce qui jusqu’à présent était considéré comme irréfutable : usages, opinions, croyances, morale ! Et il ne serait pas vrai que la femme est une créature inférieure, vouée aux fonctions vitales les plus basses ! Mais qu’est-ce que cela peut me faire, maintenant, cela ? »

Une lecture qui fait réfléchir, un texte qui n’a pas vieilli (la première parution date de 1894) et qui reste toujours d’actualité. L’histoire n’est pas seulement celle d’Agnès Schmidt, elle n’est d’ailleurs pas seulement celle des femmes ; elle est celle de chacun d’entre nous, des attentes, des déceptions, des projets qu’on abandonne sans même s’en rendre compte, des choix que l’on ne fait pas vraiment et des prises de conscience trop tardives…

« Les livres que j’aime particulièrement lire sont ceux où des femmes, poussées par un idéalisme ardent, accomplissent des actes plein d’héroïsme et d’abnégation. Aurais-je pu devenir une telle femme, si… Et j’ai passé ma vie à servir ! »

« Venger un mort ? La victime d’un meurtre ? Une âme ? Mais c’est moi la victime ! Je suis la victime. Être malheureux n’est pas un crime. »

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Et sinon, pensez-vous qu’elle aurait apprécié, cette militante féministe de la première heure, qu’on se sente obligé de rappeler qu’elle était la grand-mère de la femme d’un grand homme ? En effet, avant de mentionner qu’Hedwig Dohm a écrit « de véhéments textes polémiques » et qu’elle a « lutté par tous les moyens pour obtenir l’autonomie intellectuelle et juridique de la femme », l’éditeur n’oublie pas de préciser qu’elle était aussi « accessoirement grand-mère de la femme de Thomas Mann »…

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